les 4 méditations stratégiques du lichen
- Imagination Créatrice, Réinventer
- 23 août 2023
Cette septième carte stratégique estivale aurait pu s’appeler « Moi Lichen, Moche et Merveilleux » !
Mais démarrons sérieusement : Et si le lichen était au cœur de nos questions les plus pressantes et les plus urgentes ?
Le mot « lien » se trouve dans le mot lichen. C’est le premier tour de force captivant de « Lichens », le livre de Vincent Zonca, qui nous embarque à la découverte de ce micro-organisme, hors des sentiers attendus : celui d’une analyse purement biologique.
Au-delà de la simple curiosité biologique, l’auteur relie les points en traversant et transcendant les frontières de la biologie, de l’écologie, de la poésie, de l’art, de la philosophie pour nous aider à avoir les idées plus larges, l’œil plus attentionné, l’imagination réveillée.
Le lichen nous invite à un véritable décentrement du regard, un passage « de l’autre côté du miroir » pour découvrir une manière radicalement différente de voir les choses : d’une clé d’entrée par le minuscule, Zonca nous interroge avec enthousiasme sur notre capacité à être à la hauteur du monde qui nous entoure tout en renversant certains de nos présupposés.
Vous fermez le livre et courez vous émerveiller du tronc d’arbre rempli de lichens que vous n’aviez jamais vu auparavant et qui, pourtant, était déjà là depuis bien longtemps.
Les lichens ont-ils des leçons à nous donner (que nous retiendrons ou pas), nous préférons l’idée de « méditations » comme invitation à la réflexion.
Pourquoi le lichen n’est-il pas une énième inspiration du Vivant ?
Comme le décrit Zonca, le lichen est moche et inutile « Il n’a pas de fonction populaire ni de valeur sur le marché. On ne le mange pas, on ne l’utilise pas, on ne le vend pas : donc on ne le voit pas. Eclipse presque totale sauf pour quelques initiés. À la fois familier, le lichen est ce qui persiste quand presque toute trace de vie a disparu : il devient visible dans l’adversité. Il ne créé pas spontanément l’empathie. » Après tout, les lichens ne constituent que huit pour cent de la végétation de la surface terrestre de la planète, pourquoi s’y intéresser ?
Le lichen serait donc Moche et pourtant Merveilleux à la fois, doté de supers pouvoirs face aux contraintes ultimes, à sa façon unique d’habiter le monde par deux, à son savoir « vivre-ensemble », à sa capacité d’être à la fois signal vital et support de vie et, enfin, d’être une beauté qui inspire plus que nous pourrions le penser nos imaginaires.
Plongeons dans le monde merveilleux et mystérieux du lichen, où chaque nuance de vert est un rappel des principes du Vivant et une opportunité de repenser la façon dont nous abordons la stratégie et notre relation aux grands défis actuels.
Il est à noter que l’analogie peut être quelque peu anthropomorphique mais, selon les dernières recherches sur cette façon d’aborder le Vivant, il semblerait que ce soit une piste à garder pour inspiration.
1ère méditation : Se relier par la symbiose et la coopération (altruisme et générosité)
Le moteur de la vie c’est le lien qui nous forme et nous transforme. La singularité du lichen, un « hybride », nous interroge immédiatement sur notre qualité relationnelle.
Mi-algue et mi-champignon, les lichens sont le résultat d’une association entre deux organismes qui deviennent « partenaires », un champignon et une algue, pour ne former qu’un organisme « hybridé » : le lichen.
Chacun des organismes-partenaires apportent à l’autre, dans une relation de coexistence étroite, ce qu’il n’a pas : le champignon (mycobionte) apporte le support (fixation et croissance), l’eau et les minéraux à l’algue ; l’algue (photobionte) apporte une partie des sucres au champignon grâce à la photosynthèse.
C’est ce qu’on appelle la relation de symbiose ou le partenariat de réciprocité à haute valeur partagée. Néanmoins, dans cette association de bienfaiteurs, chacun a son rôle…interdépendant.
Cette coopération de réciprocité étonnante, la symbiose, leur permet en effet de partager des ressources et d’optimiser le « vivre ensemble » (étymologie du mot symbiose) tout en augmentant les capacités de l’ensemble formé et en favorisant la stabilisation des sols.
À y regarder de plus près, le monde est rempli de ce grand équilibre symbiotique à haute valeur partagée : le corail ne peut vivre sans de petites algues, le poisson-clown sans anémone et les humains ont besoin de bactéries intestinales (les « microbiotes »).
Sa « solidarité » joue aussi à l’extérieur dans sa capacité à soutenir la vie et à « offrir refuge » à certaines espèces vulnérables. Le lichen s’installe là où d’autres plantes luttent pour survivre, sur des surfaces difficiles et inhospitalières : on les retrouve ainsi sur des surfaces rocheuses, des écorces d’arbres, du plastique et d’autres substrats compacts, contribuant ainsi à la création de sols, à la fixation de nutriments et préparant le terrain pour d’autres plantes. De plus, en capturant l’humidité de l’air et en la transformant en eau utilisable, le lichen offre une source vitale d’hydratation à diverses créatures, des petits insectes aux grands mammifères.
Quelques questions stratégiques « à la volée » :
- Qui sont vos partenaires symbiotiques aujourd’hui et demain pour construire un avenir commun ?
- Comment pouvez-vous créer des alliances symbiotiques entre des secteurs apparemment distincts pour générer des solutions plus holistiques et durables ?
- Plus largement quelles compétences variées et complémentaires associer pour une stratégie unique et durable ?
- Quel principe de dualité créatrice inventer ?
- « Nous sommes tous des lichens » affirmait le biologiste américain Scott Gilbert qui voulait mettre en évidence la relation symbiotique de l’Homme à son environnement : quelles nouvelles coexistences mutuellement bénéfiques pouvons-nous imaginer ?
- Comment pourrions-nous redéfinir notre modèle d’entreprise de manière à ce qu’il co-évolue avec nos clients au fil du temps, comme une relation symbiotique, plutôt que de simplement répondre à leurs besoins actuels ?
- Qu’est-ce que cela changerait de développer une relation plus symbiotique avec le futur, avec la page blanche ?
- Où est le bon dans votre organisation (altruisme ? générosité ? solidarité ?…)
2ème méditation : être utile
Puis vient l’utilité du lichen : une clé de lecture que nous privilégions aujourd’hui avec le risque, néanmoins, d’oublier d’autres dimensions essentielles.
Le lichen est à la fois lanceur d’alerte, ingrédient magique et capable de résister aux conditions extrêmes.
Les lichens sont sensibles aux variations de la qualité de l’air et de l’environnement. Leur santé et leur croissance peuvent être affectées par la pollution atmosphérique, les métaux lourds et d’autres agents polluants. En tant que « sentinelles » environnementales, les lichens peuvent être utilisés pour surveiller la santé des écosystèmes et la qualité de l’air.
De plus, ces organismes modestes renferment des propriétés médicinales et chimiques précieuses. Les scientifiques explorent les composés du lichen pour des applications allant de l’industrie pharmaceutique à la recherche sur les matériaux avancés, montrant ainsi que l’utilité du lichen s’étend aux limites de la science moderne.
Quelques questions stratégiques « à la volée » :
- Quels sont vos « capteurs » stratégiques ? Sont-ils (encore) pertinents ?
- Quelle est votre ressource vitale ? Est-elle visible ou invisible ?
- Plus largement, quels services écosystémiques utilisez-vous ? ou desquels êtes-vous dépendant ?
Les lichens sont « tout terrain », ils peuvent survivre dans des environnements difficiles, comme les régions polaires, les déserts et les milieux très rocheux, mais aussi sur une grande variété de supports : bois, bitume, grille, supports métalliques ou plastiques, écorces, sols, rocs, terres, pierres, laves refroidies …
Ils résistent à des conditions environnementales extrêmes, comme des températures très basses, des niveaux d’humidité variables et des sols pauvres en nutriments, grâce à leur relation symbiotique entre champignons et algues.
L’expérience LIFE (Lichens and Fungi Experiment) en 2014 a démontré que deux espèces de lichens prélevés dans les Alpes et en Espagne ont survécu à un séjour d’un an et demi sur les parois de la station spatiale internationale puis repris leur croissance sur la terre ferme.
En effet, les lichens sont capables de survivre dans des endroits où les nutriments sont limités en tirant profit de leurs relations symbiotiques entre champignons et algues. Ainsi les lichens peuvent tolérer des périodes de déshydratation prolongée en entrant dans un état dormant, pour ensuite se réhydrater et reprendre leurs activités lorsque les conditions s’améliorent (à l’instar du tardigrade).
Leur croissance est néanmoins lente mais constante : Les lichens ont une croissance lente mais régulière (entre 0,2 et 1 millimètre par an, suivant le taux d’humidité). Cette croissance constante leur permet de s’adapter aux changements environnementaux sur le long terme, couplée à leur développement « tout terrain ».
Quelques questions stratégiques « à la volée » :
- Quelle part de croissance lente accepter/accueillir dans votre stratégie ? En quoi cela permettrait-il de nourrir conjointement une croissance rapide durable et positive pour relever les défis présents (2030 c’est demain) ?
- Quelle est votre ressource vitale ? Comment la partager avec un partenaire plutôt que de la protéger ?
- Que nous dit cette adaptation extrême pour relire le modèle VRIO de John Barney qui permettait jusqu’à présent de définir en quoi une stratégie était distinctive et inimitable en analysant ses ressources stratégiques pour évaluer le succès stratégique ?
- Si nous considérions notre marché comme un écosystème en constante évolution, comment pourrions-nous exploiter la capacité du lichen à coloniser de nouveaux territoires pour découvrir des niches inexploitées et créer des opportunités de croissance imprévues ?
- Comment pourriez-vous adopter une approche « d’auto-réparation » stratégique, où votre entreprise serait capable de détecter et de résoudre automatiquement les faiblesses et les incohérences dans son modèle d’activité, similairement à la manière dont le lichen s’ajuste pour survivre dans des conditions changeantes ?
- Comment intégrer au cœur de votre stratégie cette capacité à évoluer et à se réinventer au fur et à mesure des défis et des opportunités ?
3ème méditation sur le lichen et la « justice »
Alors que la notion de transition juste s’impose dans la métamorphose à venir. Que nous dit le lichen ?
Le concept de justice tel que nous l’entendons pour les humains est souvent lié à l’équité, l’inclusion et aux « justes » équilibres (sociaux, économiques, environnementaux…). Dans le contexte du lichen, on peut voir une certaine forme de justice (même si la nature ne fonctionne pas avec une conscience et reste dans un processus de vie qui ne cherche pas le juste mais le maintien de la vie) dans la manière dont le champignon et l’algue contribuent chacun de manière unique à la relation.
Rappelons-le, le lichen est une union de deux organismes différents, chacun apportant ses propres caractéristiques et compétences. Bien que le champignon fournisse principalement la structure protectrice et les conditions de vie, l’algue fournit la nutrition grâce à la photosynthèse. Cette répartition des tâches peut être vue comme un équilibre juste, où chaque partie contribue selon ses capacités pour le bien commun.
Les « composants » du lichen sont interconnectés et interdépendants ; ils se soutiennent mutuellement pour leur survie, ils partagent les ressources et s’adaptent ensemble.
Quelques questions stratégiques « à la volée » :
- Comment le concept de symbiose peut-il éclairer positivement votre démarche stratégique de transition juste ?
- Comment cela peut-il vous amener à revoir vos « valeurs » ou la « valeur » que vous attribuez à vos parties prenantes ?
- Votre objectif est-il commun ou non ?
- Imaginons que votre nouvelle devise soit « Liberté, Equité, Valeur partagée » comment celle-ci permettrait-elle de transformer radicalement vos produits/services et les communautés que vous servez ?
- Quelle votre définition de la justice dans votre entreprise ? et avec vos parties prenantes ?
4ème méditation sur « La beauté » du lichen ou l’inspiration esthétique
Alors que Carl von Linné, le fondateur de la taxonomie des plantes, appelait les lichens les « pauvres déchets de la végétation », Michel Butor , cité dans le livre de Zonca, disait « le lichen pour moi c’est la peinture naturelle. C’est la peinture qui se fait toute seule. Je suis fasciné par les lichens. Quand je regarde les murs je trouve cela d’une beauté extraordinaire. »
La beauté du lichen ne se limite pas à sa présence physique dans la nature. Elle nourrit notre singularité parmi les Vivants : notre imagination, notre pensée contrefactuelle, notre capacité à imaginer d’autres possibles et à les mettre en œuvre.
Les motifs et les textures uniques qu’il offre ont inspiré des artistes (le mouvement Arte Povera, John Cage…), des designers, des poètes et des architectes à travers le monde…les motifs lichéniques et l’élégance de leur structure se retrouvent dans des créations artistiques qui célèbrent (la diversité de) la nature et notre relation à celle-ci.
« On dirait un grand pays. Tu vois ces tâches vertes avec leur encerclage noir, là les plaines rousses avec la petite ligne brune qui sépare les champs. Des mers, des fleuves, des océans avec leurs couleurs et leurs formes. » Jean Giono – Le chant du monde – 1934
« Le lichen comme la mousse fait florès dans la culture japonaise. Loin d’y être considéré comme une mauvaise herbe ou comme une maladie, il est regardé avec soin et fait partie du décor codifié du jardin zen et du poème Haïku, au même titre que les rochers, le sable, l’eau, le gravier […] Sa représentation y est étroitement liée à celle de la mousse : l’équivalent japonais du mot « lichen » et de nombreuses espèces de lichens comportent le mot « mousse » dans leur nom. Il y aurait autant de mots japonais pour dire les nuages que pour dire les mousses, soit plus de 300 noms usuels, aussi appelées « herbes du souvenir » en japonais ancien. » Zonca
Pour les Japonais mousses et lichens sont liés par un principe séculaire, à la fois esthétique et éthique : le wabi-sabi. Le wabi c’est la quête spirituelle de la simplicité, tandis que le sabi cultive l’imperfection et l’impermanence. Le lichen est ce micro-organisme qui intègre à la fois le « wabi », organisme modeste, lent, dérisoire : un détail, une minutie, tout en étant « sabi » « rouille » (oxydation) : empreinte de vie imparfaite.
Pour le dire autrement, son imperfection fait partie de sa différence et de son esthétique incomparable.
Quelques questions stratégiques « à la volée » :
- Où est le moche dans votre organisation ? et où est le Beau ?
- Quelle est votre définition du Beau ? élégance, imperfection, simplicité ? expérience, geste… ?
- Où est le merveilleux derrière le moche et comment le rendre visible et l’amplifier ?
- Quels éléments non commerciaux pourriez-vous incorporer dans votre stratégie pour créer une « expérience holistique » qui transcende la simple transaction commerciale, offrant aux clients un sentiment de transformation personnelle ou de contribution à une cause plus vaste ?
Conclusion
« Dans toutes choses de la nature, il y a quelque chose de merveilleux. » disait Aristote. Plus largement, il ajoutait « Le Merveilleux est ce qui nous délivre de notre ignorance et nous permet de nous réinterroger sur la totalité universelle. » Métaphysique 982
L’émerveillement est le (re)commencement : nous invite à faire preuve de curiosité radicale en cherchant où l’on ne regarde pas (nos « inconnus, inconnus »). Mais l’émerveillement ne se commande pas : il survient comme la résonance.
Il requiert une disposition à l’émerveillement, une ouverture d’esprit, une réceptivité pour être capable de rentrer en résonance et de sa laisser transformer positivement ou non.
Le lichen nous révèle ainsi ce que pourrait être le monde si nous le vivions à une autre hauteur et sans présupposés : il combine l’équilibre parfait entre les 4 métavaleurs universelles* ou 4 Critères Conscients et Créateurs qui font qu’un homme est à la hauteur des défis à relever : le Beau, le Bon, le Juste et l’Utile.
* selon l’histoire de la philosophie des vertus
En conjuguant de façon systémique et symbiotique ces 4 valeurs, nous pouvons réinterroger nos réflexions et actions stratégiques. Nous élargissons et élevons nos possibles : à force de vouloir être utiles, n’oublions-nous pas que dans le mot « STRATEGIE » il y a le « I » de « imagination», les « E » pour « Ethique » et « Enthousiasme » et le « A » pour « Ambition » ?
Ces 4 métavaleurs correspondent à la boussole stratégique proposées par Wonderloop© pour apprendre à écrire le futur en Beau, Bon, Juste et Utile.
C’est ce que nous appelons le Merveilleux (ou le « Penser Merveilleux ») pour définir des stratégies « vivantes » et « vibrantes » où les raisons d’être sont également des raisons de venir, de rester pour penser grand et agir grand.
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Marianne Dekeyser est depuis plus de 20 ans au service du « penser et faire autrement » conférences, workshops stratégiques et formations avec des Comités de Direction et managers.
Son constat ? Il faut aller au-delà du penser autrement et faire autrement » si nous voulons créer un monde radicalement positif et enthousiasmant pour tous.
Quand tous les imaginaires et les business modèles liés sont à réinventer, Wonderloop© est la méthode stratégique radicalement différente pour réinventer demain sans penser comme hier : de la page blanche jusqu’au business modèle régénérateur.
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